Le CRAN réclame à grands cris que l’on déboulonne les statues de Jean-Baptiste Colbert, ministre de Louis XIV, et que l’on débaptise les collèges et lycées portant son nom car il a rédigé le Code Noir (1685). Sommes-nous en train de revivre une nouvelle Terreur intellectuelle comparable à celle de 1793 instrumentalisée par les nouveaux accusateurs publics semblables à Fouquier-Tinville ?
Cette polémique est illustration de la vague d’ignorance qui submerge notre société au nom de la repentance et du politiquement correct. On assiste au bannissement de toute complexité historique or l’histoire de Colbert et du Code Noir doit être avant tout replacée dans le contexte de l’époque -le XVII e siècle. L’esclavage est certes une pratique immonde qui ne doit plus exister mais à l’époque le monde entier pratiquait l’esclavage et les Africains eux-mêmes. Comme le rappelle l’Historienne Catherine Coquery-Vidrovitch, 1 Africain sur 4 est l’esclave d’un autre Africain et cela avant l’arrivée des Européens. Et Pierre Nora d’ajouter que l’Histoire est une longue suite de crimes contre l’humanité, malheureusement…
Travailleur acharné jusqu’à quinze heures par jour, Colbert est l’homme clé de Louis XIV, gérant à la fois les finances, l’agriculture, le commerce et la marine pour faire de la France la première puissance en Europe. En 1669, il cumule le travail de six ministres ! Son œuvre politique est colossale. Colbert est un réformateur qui entend unifier, simplifier et clarifier les multiples règlements qui ralentissaient l’administration du royaume. Il fait rédiger une série d’ordonnances pour réformer la législation : « Code Louis » sur la justice (1667), code sur les eaux et forêts (1669), Code du commerce (1673), Code la Marine et le « Code noir » de 1685 se place dans cette nouvelle volonté de légiférer et de mettre fin au chaos et l’anarchie qui régner avant l’Etat moderne. Colbert est aussi l’artisan d’un véritable politique culturelle en encourageant la fondation des Académies, des Médailles en 1663, des Sciences en 1666, d’Architecture et de Musique en 1672. Il meurt épuisé par sa tâche à l’âge de 63 ans.
On ne réécrit pas l’Histoire. Déboulonner les statues de nos Grands Hommes c’est ouvrir la boîte de Pandore du révisionnisme historique. Outre l’anachronisme, le jugement a posteriori est une impasse intellectuelle. À ce rythme-là, la liste des bannis sera sans fin. L’Histoire, une fois écrite, ne s’efface pas. L’Histoire, on doit l’assumer. C’est autant glorieux qu’honteux. C’est l’Histoire ! Effacer ce passé comme l’exige les nouveaux grands épurateur de l’Histoire, c’est quelque part se renier dans ce qui fait l’essence même de l’âme française.
Plutôt que de débaptiser : il faut instruire et éduquer. Pour pouvoir assumer sereinement et lucidement le passé et tout le passé, laissons des plaques pédagogiques. Les noms de rues, les statues de nos grands hommes sont nos héritages, notre mémoire. Si on n’enseigne plus correctement l’Histoire de l’expansion maritime européenne et si on n’éduque pas correctement nos populations, on va vers une société de haine et d’ignorance. On aurait pu penser que la connaissance historique, ou plus précisément l’Histoire scientifique allait permettre une approche tempérée, équilibrée, nuancée – or c’est tout le contraire qui se produit : réviser le passé, le purger de tout ce qui peut choquer au nom de la bien-pensance est devenu la norme des nouveaux Ayatollahs de la pensée unique.
Pour une Histoire équilibrée et apaisée la Liberté de l’Histoire est indispensable, l’Histoire est un bloc… et on ne juge pas l’Histoire !
Tout aujourd’hui tend vers le simplisme, tout doit rester primaire, simplifié à l’extrême, tout doit être binaire divisé entre le bien et mal comme le démontre dans les manuels scolaires l’usage permanent et très abusif, de termes comme “domination”, “dominés” ou “dominateurs”. Au lieu de déboulonner la statue de Colbert, il faut au contraire conduire les élèves devant cette statue et leur expliquer et raconter tout ce qui s’est passé. Si on ne comprend pas l’Histoire dans sa globalité et sa complexité, on ne comprend rien à rien. Il ne faut pas avoir peur d’enseigner calmement que « Colbert fut un grand homme d’Etat qui a considérablement modernisé la France à une époque où existait malheureusement l’esclavage… ». Le renier, c’est nous renier, c’est renier une immense part de ce qui constitue la France à travers le monde.
Cette question est à replacer dans un problème plus vaste : cette incapacité permanente de nos sociétés à replacer les événements dans le contexte historique de l’époque et surtout cette incapacité à plaquer nos représentations mentales actuelles sur celle de la période évoquée.
Il faudrait plutôt rappeler qu’en 1848, seules parmi les grandes puissances de toute la planète, la France et l’Angleterre avaient aboli l’esclavage qui était pratiqué par l’ensemble de la planète. L’esprit victimaire actuel empêche de se concentrer sur le vrai problème actuel: le fait qu’ aujourd’hui entre 26 et 33 millions d’esclaves modernes sont recensés par l’ONU de la Mauritanie au Pakistan… Au lieu d’entretenir cet esprit victimaire et revendicatif, il faut apaiser les mémoires en enseignant et en expliquant l’Histoire.
J’ai conscience que c’est difficile d’expliquer à nos concitoyens que le Code Noir puisse constituer un progrès à l’époque en 1685. Mais ce cadre légal permit d’adoucir la vie des esclaves de l’époque, auparavant régnait l’arbitraire le plus total, l’anarchie et le chaos. La loi s’efforce aussi d’améliorer leurs conditions de vie. Avec la mise en place des procédures d’affranchissement et renforce les obligations du maître. Le soigner, l’entretenir s’il devient trop vieux ou infirme. C’est ce qu’ont démontré les chercheurs Olivier Petré-Grenouilleau et Jean-François Niort.
Par ailleurs, la déclaration des droits de l’homme universelle interdit qu’aucun crime soit condamnable tant qu’une loi ne le définit pas comme tel, ou pour des faits commis antérieurement à la promulgation de la loi qui le définit.
Enfin, interrogeons-nous sur la société que nous voulons laisser à nos enfants. Soit une société de haine et de repentance soit une société éduquée et apaisée qui va de l’avant.
La repentance est une seconde faute disait Spinoza…