Critique film Napoléon mythe mondial

« Quand la légende dépasse la réalité, a dit John Ford, imprimer la légende ». 

Alors qu’importe les polémiques, autour du film de Ridley Scott, l’important est que l’on parle de Lui…202 ans après sa mort, Napoléon est plus vivant que jamais. 

Le film est loin d’être hagiographique. L’Empereur des Français y est soigneusement calomnié et donne lieu à des controverses interminables. Certes, un film qui fait débat est souvent un bon film. Si celui-ci parvient à pousser les spectateurs à vouloir en savoir plus sur Napoléon, ce sera déjà une belle victoire, en ces temps de grande ignorance…

La face sombre de Napoléon

Le personnage de Napoléon est le mythe cinématographique par excellence. On a recensé plus de 700 films où l’Empereur apparaissait à l’écran et 200 lui ont été consacrés. Incontestablement, il compte parmi les plus grandes figures de l’Histoire du 7e art, loin devant tous les autres personnages. Cette abondance de films sur Napoléon provient de sa capacité étonnante à véhiculer les idéologies et les messages les plus variés. Cependant, il est vrai que ce que l’on voit dans le film de Ridley Scott est une image négative de l’Empereur avec une multitude d’erreurs historiques. On perçoit chez le réalisateur britannique l’habituelle francophobie des Anglais envers la France, avec toujours cette pointe de jalousie caractéristique (le metteur en scène n’en possède pas moins un mas dans le Lubéron). Le film, très antifrançais, est avant tout une production anglo-saxonne, il a donc été donc réalisé par les pires ennemis de Napoléon. En fait, Ridley Scott a réussi à transcrire au cinéma la légende Noire de Napoléon. Il existait la légende dorée du chef d’œuvre d’Abel Gance (1927). Place à la face sombre du grand homme.

Le réalisateur présente un Napoléon très caricatural, le tyran, l’ogre corse, rustre renfrogné, avec un bilan des morts des guerres de l’Empire (et de la Révolution…) totalement délirant. Avec les femmes, l’Empereur apparait comme le misogyne qu’il était (article 213 du code civil la femme doit obéissance à son mari, c’est bien lui). Enfin, il est vrai qu’il était rustre, un vrai un goujat avec les femmes. Même si elles sont nombreuses à ajouter aussi qu’il possédait un tel charisme qu’il en devenait très séduisant. 

En revanche, ce qui est impardonnable dans le film, est qu’il n’y ait rien sur l’homme politique, le créateur de toutes les institutions françaises (la liste est longue) et sur le grand bâtisseur qu’il était.

Réaffirmons ici avec force, Napoléon n’a pas assisté à l’exécution de le reine Marie Antoinette (il était à Toulon), n’a jamais fait tirer un canon sur la Grande Pyramide, n’est pas revenu d’Égypte pour Joséphine mais conquérir le pouvoir. Enfin, lors de la fameuse scène de la débâcle des Austro-Russes bombardés par l’artillerie française sur les étangs gelés d’Austerlitz, toute une armée ne fut pas engloutie sous les eaux, mais à peine une centaine de soldats…

« Violer l’histoire pour lui faire de beaux enfants » ?

Toutefois, au cinéma, nul n’est obligé de respecter scrupuleusement l’histoire surtout si cela donne un excellent film. Gladiator en 2000 n’était pas vraiment un modèle de vérité historique. Pourtant, quel chef d’œuvre ! Et son premier film Duelliste (1977) déjà sur la période napoléonienne, fut une réussite magistrale.

On peut toujours critiquer le cinéma américain à grand spectacle mais cela reste ce qu’il y a de meilleur. Le résultat est là, colossal, avec un souffle épique, des scènes de bataille à couper le souffle et rien que Joaquim Phœnix en Napoléon, et Vanessa Kirby en Joséphine (remarquable), cela vaut le détour. 

Ce film démontre que Napoléon demeure avant tout un mythe mondial. 202 ans après sa mort, l’Empereur suscite un engouement constant : plus de livres ont été écrits sur lui que de jours se sont écoulés depuis sa mort, soit un total en forme de record de 73 000 ouvrages. Ridley Scott le rappelle :« Napoléon est un homme qui m’a toujours fasciné. Il est sorti de nulle part pour gouverner le monde ».

L’histoire de ce petit émigré, déraciné, intégré, parti de rien pour arriver au sommet et devenu le fondateur de la France moderne, fascine le monde entier. Il est une star internationale en particulier dans les pays asiatiques ou anglo-saxons parce qu’il représente le self made man par excellence.

Napoléon, lui-même, n’a-t-il pas écrit, « quel roman que ma vie » ? Et c’est vrai ! Qui croirait un romancier inventant un tel personnage ? Personne, car sa vie est au-delà de la réalité. 

Ridley Scott a fait des choix scénaristiques drastiques et historiquement faux pour faciliter la compréhension du public (la simplification du drapeau tricolore) Peu importe que le film ne respecte pas la vérité historique : aucune œuvre historique, voire la plus documentée soit-elle, n’est le reflet exact d’une époque antérieure. On le constate encore récemment avec les dernières adaptations des Trois Mousquetaires. Dans une interview Joaquin Phoenix a abordé la question de la véracité historique : « Si vous voulez vraiment comprendre « Napoléon », alors vous devriez probablement mener vos propres recherches et choisir vos propres lectures. Ce film, est une expérience racontée à travers les yeux de Ridley Scott, qui veut avant tout montrer que l’Empereur des Français a créé lui-même sa chute.

Napoléon insaisissable caméléon de l’Histoire

Napoléon Bonaparte est peut-être le grand personnage le plus complexe à saisir. Il est un véritable caméléon de l’Histoire. Ce qui m’étonne le plus dans toutes les analyses d’éminents historiens parus sur le film, c’est qu’aucun d’entre eux est prononcé le mot folie. Or, il est évident qu’après 1810, l’Empereur est atteint de mégalomanie. D’innombrables témoignages corroborent ce fait oublié. Et là, le choix de Joaquim Phoenix est excellent. La ressemblance est bonne, ses yeux gris bleu parfaits et génialement ambigus, même si le comédien est souvent d’une lourdeur spectaculaire (Napoléon lui était beaucoup plus vif). Certaines scènes sont désolantes et font de lui presque un demeuré…

Film grinçant et critique sur le pouvoir d’un homme dont on ne dissimule jamais le côté négatif. Napoléon est pourtant l’homme qui a toujours tenté de maîtriser son destin. Avec succès dans un premier temps, puis, après 1810, tout lui échappe. À mesure que ses vrais soutiens et fidèles amis, disparaissent comme Joséphine, Lannes, Murat, les obstacles deviennent de plus en plus insurmontables. Sa personnalité subit alors de profonds bouleversements. Le trouble principal de la mégalomanie est le fameux syndrome de l’hubris, ce sentiment irrépressible de démesure qui provoque la perte du sens des réalités, il se referme de plus en plus sur lui-même, ses angoisses s’accroissent, il vit dans une anxiété permanente. Ridley Scott lui-même explique « Ce qui me fascine chez lui, c’est sa faculté à sculpter sa propre légende. Il était parfaitement conscient de son aura, c’était un authentique showman, mais son obsession de conquête a causé sa perte ». 

L’aspect positif du film est que le réalisateur a bien compris que Joséphine fut le grand amour de sa vie, son « carburant ». Il lui fait dire dans le film : « Tu n’es rien si je ne suis pas avec toi ». Il est vrai que Joséphine possédait une présence incroyable ! Très aimée par le peuple, respectée par toute la cour impériale, dotée d’une distinction incroyable, elle était à la pointe de la mode et devint une icône pour tous les Français. Après leur tragique divorce dû au fait qu’elle ne pouvait lui donner l’héritier qu’il espérait tant, ses conseils manquèrent cruellement à Napoléon.

Où sont les grands films historiques français ?

Le vrai scandale serait plutôt de se demander où sont les films français capables de traiter correctement de la vie de Napoléon ? Pas un seul depuis le Napoléon d’Abel Gance de 1927, aucun film français ne fut réellement à la hauteur du mythe. Où est la véritable fresque épique et moderne sur la vie de Napoléon ? On l’attend toujours. Ce n’est pas Monsieur N d’Antoine de Caunes (2003), film honnête sur la mort de Napoléon à Sainte Hélène qui serait capable de rivaliser avec Gance ou Ridley Scott. Le réalisateur britannique a raison quand il affirme : « les Français ne s’aiment pas eux-mêmes…La vérité est que nous sommes incapables en France de traiter notre histoire de manière équilibrée et apaisée. « Il serait temps de s’interroger sur le traitement de notre propre histoire » comme le rappelle justement l’historien Pierre Bufacchi. D’Indigènes à Tirailleurs, la quasi-totalité des films historiques français sont à charge avec une lecture uniquement culpabilisante. Il n’y a que vision négative, criminalisante ou victimisation. Pierre Bufacchi s’alarme « de la gestion du cinéma français et de l’allocation des subventions » qui sont effectivement exclusivement réservées à des films de genres, abordant des thèmes politiquement corrects et compassionnels. « Avant que les flammes s’éteignent » sur l’abjecte affaire AdamaTraoré de Camélia Jordana vient de bénéficier de près d’1 million d’euros d’argent public sur un budget de 2,5 millions, éloquent…

Donc voyons le film de Ridley Scott comme une œuvre du 7e art, celle d’un réalisateur britannique en 2023. Les trop nombreuses lacunes, blancs historiques et émotionnels plombent un film de 2h37 qui pâtit de trop nombreuses coupes. Les director’s cut de plus de 4h promises par Ridley Scott sauront combler ces manques. 

Un dernier aspect positif, le film affermit la vision d’un Napoléon héritier et continuateur de la Révolution Française. Sa vie symbolise la lutte à mort entre le vieux monde et le nouveau. Il brûle en lui comme un défi perpétuel au passé, à l’Ancien Régime. Jusqu’à la fin son ambition plus forte que lui le dévore. Sa mort à Saint Hélène est sa dernière et peut être plus grande victoire. Quand il coiffe après sa mort la couronne du martyr qui va le transfigurer, cet admirateur du Monde antique savait bien que la légende des héros malheureux hante pour toujours la mémoire des peuples…

Puisse cet nième film être un succès que l’on puisse continuer à débattre tout en criant pour certains dont moi-même :

Vive l’Empereur à jamais !

Dimitri Casali

Mon dernier livre sur l’Empereur: « Napoléon dans l’intimité d’un règne » ( Larousse 2021).

Prochain concert d’Historock « Napoléon l’Opera rock » samedi 17 février 2024 aux Journées Napoléoniennes de Montereau 20h30.

7 Replies to “Critique film Napoléon mythe mondial”

  1. Une daube à l’américaine qui a le goût du rance !

    1. Claude Budin-Juteau dit : Répondre

      La critique de Dimitri Casali, la référence pour tout ce qui a trait à Napoléon, est méticuleuse, honnête et a le grand mérite de donner envie d’aller voir le film et, en fin de compte, en apprendre davantage sur ce géant de l’Histoire. Bravo ! 😊

  2. Lire comme antidote Le Feldmarschall von Bonaparte de Jean Dutourd, qui imagine ce que fût devenu Napoléon sans la Révolution : https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Feld-Mar%C3%A9chal_von_Bonaparte.
    En tout cas, à la différence d’autres grands hommes, de l’histoire de France, il a eu l’intelligence de la synthèse. “J’assume tout” disait-il en parlant de l’Histoire de France. Comme Clovis créant l’aristocratie française en mélangeant des chefs francs avec des seigneurs gallo-romains, il s’entoura à la fois d’anciens révolutionnaires, d’aristocrates de l’ancien régime, et d’innovateurs bourgeois.

    1. Parler de Napoléon ou raconter Napoléon, cela se mérite ! Ce film ne servira pas Napoléon et son souvenir !

  3. Bonjour,
    Je vous ai écouté sur Europe 1 avec Pascal Praud sur la critique du film… une simple remarque rectificative : theroigne de mericourt n’a pas été décapitée, elle est morte folle à la salpetriere en 1817 😉

  4. A fascinating article, Dimitri (sent to me by a long-time friend of yours living in Hollywood), not only on Ridley’s film but the French perspective. Thank you for writing it.

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